Épisode #15 - Aversion au risque et aversion à la perte
La psychologie derrière le "Quitte ou Double"
Est-ce que vous préférez :
jouer à pile ou face pour tenter de gagner 1 000€
ou que je vous donne 300€ tout de suite ?
Et pour 350€ ? Allez, 400€, c’est mon dernier mot, à prendre ou à laisser. Mathématiquement, il faudrait choisir le pile ou face. Maiiiiiiiiis nous ne sommes pas vraiment rationnels, et la grande majorité d’entre vous auront choisi les 400€.
Essayons autre chose. Je vous propose un nouveau pile ou face.
Pile : vous gagnez 1 000€.
Face : vous perdez 500€.
Vous jouez ? Là encore les études montrent que la majorité refusera, alors que mathématiquement, c’est rentable.
La Définition Officielle™
L’aversion au risque est un biais qui nous pousse à choisir des solutions “non optimales” seulement parce qu’elles représentent moins d’incertitude. Typiquement, vous préférez un gain plus faible mais certain, qu’un gain très élevé mais incertain.
Ce biais est souvent couplé à un second : l’aversion à la perte, qui nous fait donner plus de valeur à une perte qu’à un gain du même montant. C’est concrètement ce qui se passe dans le deuxième pile ou face.
L’introduction n’a pas marché sur vous ? C’est peut-être grave, ou peut-être pas.
Je suis au regret de vous dire que si vous avez pris les choix risqués dans l’introduction, vous allez probablement mourir plus tôt. Pour l’anecdote, j’ai fait le test avec mon père, qui m’a dit “soit tu me donnes 800€ tout de suite, soit je continuerai à choisir le pile ou face”. Aïe. 🥲
Mais c’est peut-être juste que… vous êtes suffisamment riches. Deux hypothèses existent (et sont probablement complémentaires) :
En économie, c’est la loi d’utilité marginale décroissante (wikipedia). C’est une jolie locution pour dire que 1 000€ sont “moins utiles” pour un milliardaire que pour un français moyen. Peut-être que perdre 1 000€, ce n’est pas si grave pour vous.
Si c’est le cas, n’hésitez pas à faire un petit virement sur mon PayPal si vous aimez cette newsletter 🙃Quand on prend un risque, notre corps sécrète de la dopamine et du cortisol. La dopamine, c’est l’hormone qui est sécrétée lorsqu’on s’attend à une récompense. Le cortisol, c’est une des hormones du stress. En fonction du montant en jeu, la quantité de cortisol sécrétée va plus ou moins compenser la dopamine. Si la quantité de cortisol est trop faible, c’est la dopamine qui l’emporte, et qui va vous faire adopter une conduite risquée (étude originale) .
La sécrétion de dopamine varie chez chacun d’entre nous. C’est en partie ce qui fait qu’il y a des gens plus ou moins enclins à prendre des risques. Il existe d’ailleurs des tests pour mesurer son appétence au risque et se comparer aux autres (~5 minutes).
“Fun” fact pour briller en société : de ce qu’on sait aujourd’hui, la dopamine n’est pas l’hormone du bonheur, c’est plutôt le rôle de la sérotonine. La dopamine est plutôt sécrétée lorsqu’on s’attend à une récompense. C’est très différent : la dopamine va renforcer les comportements qui procurent du plaisir, mais ne rend pas heureux. Par contre, le manque de dopamine lui, rend bien malheureux. Mais peut-être qu’on creusera le sujet lors d’un épisode hors-série dédié, qui sait… (Normalement je viens de vous faire sécréter de la dopamine).
L’aversion appliquée aux jeux d’argent
Ces aversions au risque et à la perte sont la base de nombreux jeux, comme le Quitte ou Double et À Prendre Ou À Laisser.
Pour rappel : Dans la version télé de ce jeu, il y a 24 boîtes contenant des montants de 1 centime à 500 000€. Le participant ne sait pas ce que contient sa boîte, et doit ouvrir puis jeter petit à petit les 23 autres boîtes. Il a le droit d’échanger sa boîte avec une autre boîte fermée. Parfois, un “Banquier” l’appellera, lui offrant une somme d’argent immédiate pour qu’il arrête le jeu.
Dans À Prendre Ou À Laisser, le Banquier va déclencher l’aversion au risque en proposant une offre concrète et certaine. Mais évidemment, son offre est toujours inférieure à la moyenne des boîtes restantes. Par exemple, s’il reste les boîtes de 1€, 500€ et 10’000€, le banquier ne proposera pas 3’500€, mais plutôt 1 500€. Autre exemple dans cet extrait, où la candidate se retrouve avec les 2 boîtes extrêmes : 0.01€ et 500’000€. L’offre du banquier ? 180’000€. Dans sa situation, vous prenez ou vous laissez ?
Il en manque une !
Puisque c’est le prix Nobel d’économie Daniel Kahneman qui est à l’origine d’une des premières études sur l’aversion à la perte, il fallait bien qu’on parle de finance ! Sur les marché boursiers, la moyenne d’âge des actifs perdants est plus élevé que l’âge des actifs gagnants. En d’autres termes, on vend rapidement lorsqu’on fait une plus-value, par contre on refuse de vendre à perte, car on espère toujours se refaire.
C’est aussi sur le biais d’aversion à la perte que se basent les sites de paris et de casinos : 200€ offerts dès l’inscription ? Super sympa ! Oh non j’ai perdu mes 200€, il faut que je me refasse… 🎲
Profiter de supers avantages ! Heu non pardon, évitez de perdre vos avantages !
Pour manipuler quelqu’un, la formulation de vos questions est très importante. Vous pouvez utiliser une variante de l’effet de cadrage (framing effect). Au lieu de mettre en avant un faible risque ou un gain, formulez plutôt ça comme une perte évitée (source) :
Ce traitement a 5% de risque d’être inutile
est beaucoup moins attirant que
Ce traitement sauvera la vie du patient dans 95% des cas.
Cela fonctionne aussi pour les périodes d’essai (attention c’est subtil) :
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convertit moins que
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L’aversion à la perte pour augmenter la rétention
Autre utilisation de ces biais : la principe des streaks (“en série” / “d’affilée” en français).
Par exemple chez Audible, il faut lire 90 jours d’affilée pour avoir le badge “Daily Dipper” Diamant. Cela laisse largement le temps de déclencher le biais d’engagement et l’aversion à la perte. Vous vous imaginez retomber à 0 après 84 jours de connexion d’affilée ?
Comment s’en défaire
Comme le biais d’engagement, il faut prendre du recul pour contrer ces biais. Si vous avez un choix à faire, posez-vous ces deux questions :
Est-ce que la question est posée sous forme de perte ou de risque ?
Quel conseil donnerais-je à un inconnu qui doit faire ce même choix ?
La première question vous permet d’éviter les manipulations trop flagrantes. La seconde vous pousse à vous détacher de votre situation et des émotions qui vous (dés)orientent.
Côté investissements, la plupart des stratégies qui veulent contrer ce biais consistent à simplement… suivre aveuglément une recette. Exemple : acheter un montant fixe, sur des produits définis d’avance, à une fréquence elle aussi définie à l’avance. 1 000€ tous les mois sur le Bitcoin, et tout ira bien n’est-ce pas ? 😬
Merci d’avoir lu cette newsletter, que j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire comme d’habitude. Si vous voulez recevoir un biais cognitif de temps en temps le Lundi à 18h, inscrivez-vous ! Vous pouvez aussi liker / commenter / noter la newsletter pour qu’elle s’améliore 😉