Épisode #7 : La réactance
ou "Pourquoi c'est plus efficace de dire à son enfant : « Je t'interdis de manger ces brocolis ! » que « Finis ton assiette Tristan je t'en supplie ! »”
Ce biais est si simple à déclencher et tellement efficace que je l'ai déjà utilisé plusieurs fois sur vous. Cette introduction en est un exemple.
La Définition Officielle™
La réactance d'un circuit électrique est la partie imaginaire de son impédance induite par… Ah pardon, je me suis trompé de page Wikipédia. Je recommence.
La Vraie Définition Officielle™™
La réactance est un mécanisme de défense du libre arbitre. Lorsqu'un individu pense que sa liberté ou ses choix sont menacés, la réactance va le pousser à défendre son autonomie. C'est la base de l'esprit de contradiction, de la psychologie inversée, et de la propagande.
Le principe de cette newsletter repose en partie sur votre réactance : je vous dit que l'on peut utiliser des biais cognitifs pour vous manipuler. Pour garder votre libre arbitre, vous voulez apprendre à les détecter et à vous défendre. Donc vous vous abonnez. C'est votre réactance qui est à l’œuvre.
Allez j'exagère, vous avez aussi plein d’autres raisons de vous abonner : la newsletter est drôle, intéressante, divertissante… n’est-ce pas ? 🥲
Comment l'a-t-on démontré expérimentalement ?
Comme le biais de Simple Exposition, des centaines d'études ont été réalisées sur la réactance. Les premières pour vérifier la thèse initiale, puis ensuite pour trouver les facteurs qui augmentent ou diminuent la réactance.
L'expérience de Brehm & Weintraub (1977) :
Dans cette expérience, les cobayes sont de jeunes enfants (ah, j’adore la science…). On les met dans une pièce avec 2 jouets différents placés à égale distance.
Groupe 1 : Un des deux jouets est derrière une petite marche, facile à enjamber.
Groupe 2 : Un des deux jouets est placé derrière une grande vitre en plexiglass que l’enfant doit contourner
On mesure ensuite le temps que les enfants mettent pour aller toucher les jouets.
Lorsque l’obstacle est facilement franchissable, la différence n’est pas significative. Par contre, lorsque la barrière est grande, les enfants vont très vite vers le jouet… le plus difficile à atteindre.
Un biais aux conséquences lourdes dans le monde réel
Je vous laisse imaginer les conséquences quand on mélange “Confinement + Réactance”, “Port d’Arme + Réactance”, ou “Pass vaccinal + Réactance”. Prenons d’autres exemples.
L’effet Streisand. Oui oui, Barbra Streisand.
Je vous propose de lire la suite de la newsletter avec cette musique en tête. C’est cadeau.
En 2003, un photographe qui participe à un article sur l’érosion du littoral prend ce cliché :
Sur cette photo, la grande maison est celle de Barbra Streisand (chanteuse et actrice). Elle va alors porter plainte pour non respect de la vie privée, et demander au photographe de supprimer sa photo. Coup dur pour Barbra : le buzz généré autour de sa plainte attire les journaux people, qui vont diffuser massivement la photo. C’est ce qu’on appelle maintenant l’effet Streisand.
Cet effet est souvent utilisé en marketing : “Une fuite révèle les nouvelles caractéristiques du téléphone n°38 Pro Max + !!!!!! ” Fuite organisée… par le fabricant lui-même. La rumeur se propage, et c’est la publicité assurée.
“Bad Buzz is still buzz”
En 2015, le site RueDuCommerce affiche sur son site une pop-up indiquant : “Attention, site interdit aux femmes”. Tollé général dans l’opinion publique… et explosion du nombre de commandes.
Utiliser la réactance pour… supprimer des libertés
- Mais Aurélien, t’es pas logique ! La réactance c’est justement pour protéger nos libertés ! Non ?
Oui… sauf si on met en avant la mise en danger d’autres libertés. C’est une pratique souvent utilisée en politique :
Politiques pro vidéo-surveillance, ou pro surveillance sur Internet
Attention, les méchants veulent nous priver de notre droit à s’amuser, on a besoin de plus d’informations pour les traquer !
Politiques sanitaires
Attention, la méchante maladie va nous empêcher de voir notre famille à Noël, il faut se faire vacciner !
Cette utilisation de la réactance peut amener à des paradoxes : puisqu’on oppose deux privations de libertés, alors on peut tout aussi bien les interchanger pour dire tout et son contraire.
Politiques économiques des uns
Attention, les méchants riches volent notre droit à un revenu décent, il faut augmenter les taxes !
Politiques économiques des autres
Attention, le méchant gouvernement veut nous empêcher d’avoir le revenu pour lequel on a si durement travaillé ! Il faut diminuer les taxes !
Rigolo, non ? 🙃
Mon life goal ? C’est de me faire censurer.
Ahhhh le fameux “Non mais on peut plus rien dire rhololo”. Des expériences (exemple) ont montré que lorsque qu’on présente un discours comme censuré, alors deux choses se passent :
Notre envie de l’entendre augmente (plutôt normal jusqu’ici vu le principe de réactance)
Plus étonnant : notre position par rapport au contenu du discours s’assouplit. On ne change pas forcément d’avis, mais on y est légèrement moins défavorable, voire plus favorable.
On comprend alors pourquoi tout le monde se dit être victime de censure : ça nous rend plus appréciable.
D’accord, c’est efficace. Maintenant, comment se défendre ?
La réactance étant un sujet très étudié, on connait assez bien les mécanismes qui la déclenchent. On peut même assez bien mesurer la réactance que va produire un discours (cf cet excellent article) grâce à des questionnaires, des mesures du rythme cardiaque ou un électro-encéphalogramme.
On a aussi montré qu’il ne faut pas essayer de faire taire sa réactance. Elle n’en sera que retardée et plus forte. Le meilleur moyen est d’en prendre conscience, d’en déterminer la cause, puis de prendre le temps d’évaluer les options.
Pour en prendre conscience, voici quelques motifs qu’il est utile de reconnaître :
Si vous entendez “On me censure / On veut me faire taire / On a plus le droit de dire ce qu’on pense”, faites attention. Le contenu du discours n’est pas forcément faux, mais vous risquez de vous faire une opinion moins rationnelle.
Si quelqu’un vous incite à choisir une voie pour “protéger votre liberté de […]”, faites attention. Il ne s’agit pas non plus de faire une erreur fondamentale d’attribution et d’y voir de la manipulation, peut-être que votre interlocuteur est aussi victime de sa réactance.
Plus important encore : si quelqu’un vous impose un choix, tenez-vous sur vos gardes ! Puisque choisir c’est rendre les autres options inatteignables (“choisir c’est renoncer”), alors votre réactance est déclenchée ! Est-ce que le choix est vraiment binaire ? N’y a-t-il pas d’autres solutions ? Les options sont-elles toutes exclusives ? Faut-il vraiment choisir entre beurre et pâte à tartiner ? Pourquoi pas les deux en même temps ?! Rebellez-vous !!
Oups, j’utilise encore votre réactance 🙃