Avant de plonger dans le biais de la semaine, j'ai besoin de vous pour construire la prochaine newsletter !
Pouvez-vous prendre 1 minute de votre temps pour répondre à ce petit QCM ?
C'est fait ? Merci ! Allons-y.
La Définition Officielle™
Le biais de conformité c’est notre tendance à suivre l’avis de la majorité plutôt que le nôtre.
Faisons une expérience
La ligne à droite a la même taille qu’une des 3 lignes à gauche. Laquelle ?
Vous avez répondu comme 97% des gens la ligne 1 ? Bien joué !
Continuons.
La ligne à droite a la même taille qu’une des 3 lignes à gauche. Laquelle ?
Vous avez répondu comme 89% des gens la ligne 1 ? Bien joué ! Ah non, vous n’avez pas répondu la ligne 1 ? Vous êtes sûrs ? Parce que 89% des gens sont d’accord pour dire que c’est la ligne 1… Vous avez revérifié n’est-ce pas ?
Dans l’expérience de Solomon Asch (wikipedia) cet avis aberrant de la majorité suffit à induire en erreur plus de la moitié des participants.
Dans cette expérience, les sujets sont amenés par groupe de 8 dans une salle, dans laquelle l’expérimentateur montre 18 figures avec ce même exercice et des bâtons de tailles différentes.
Le twist : 7 des 8 personnes du groupe sont des complices, et ont pour ordre de donner unanimement une réponse fausse sur 12 figures.
On observe le nombre d’erreurs des cobayes et on le compare au groupe contrôle sans complices pour induire en erreur. (vidéo de reconstitution). Résultats :
Solomon Asch déduit plusieurs choses de ces résultats.
La majorité nous influence, même si elle commet une erreur flagrante.
Il y a deux types de personnes (d’où les deux “bosses” rouges).
Les indépendants, qui ne se laissent pas trop influencer, seulement lorsqu’ils doutaient déjà, ou que l’erreur n’est pas flagrante (les lignes sont parfois de longueur assez proche)
Les suiveurs résignés1, qui se rangent presque toujours à l'avis de la majorité, même s'ils ont conscience de l'erreur.
Dans la majorité des cas, les sujets suiveurs ont décrit cette expérience comme stressante et déstabilisante. Solomon Asch a tenté des variations de cette expérience, en introduisant un allié pour le cobaye, c’est à dire une personne qui, comme le cobaye, va aussi à l’encontre de la majorité. Dans ce cas, le taux d’erreur chute drastiquement (on passe de 60% à 5% d’erreur, comme le groupe contrôle) .
Ainsi font font font 3 petits tours et puis s’en vont
Dis donc, ça ne vous rappelle rien ? Une expérience stressante, qui nous fait prendre des décisions à l’encontre de nos convictions, et où l’introduction d’un allié nous rend la raison ? C’est très semblable à l’expérience de Milgram sur la Soumission à l’autorité (l’expérience où les cobayes devaient électrocuter des fausses victimes). Les théories d’Asch, sorties quelques années plus tôt, ont influencé Milgram.
Nous vivons en démocratie, vraiment ?
Je me doute que vous avez déjà entendu cette phrase, surtout en période d’élection présidentielle :
“Non mais franchement, soyons honnêtes, il a aucune chance d’être élu, à quoi ça sert de se présenter... Ça embrouille le débat !”
On peut maintenant comprendre l’intérêt de conserver les petites candidatures. C’est justement pour ne pas se retrouver dans le cas où l’on n’entend aucune voix discordante, et où la pression de la majorité nous conduira à faire un choix qui n’est pas le nôtre.
Mais Aurélien, s’il y a déjà 2 ou 3 gros partis politiques, ça marche non ? Pas besoin d’en avoir 15.
C’est une très bonne question ! (en même temps c’est ma newsletter, je fais les questions et les réponses 😇). Ce cas de figure se présente par exemple aux États Unis pour l’élection présidentielle où seulement deux partis ont la possibilité de gagner : les démocrates et les républicains2. La littérature scientifique ne permet pas de conclure, mais à mon avis s'il y a deux groupes forts et aucune troisième voix/voie, le biais de conformité va aussi s'appliquer.
La fameuse Pression Sociale
La Pression Sociale, ou Peer Pressure, est le nom donné au Biais de Conformité lorsque la “majorité” est représentée par un élément culturel ou social. Les implications sont partout :
les effets de mode (“Mamaaaaaaan, toutes mes copines elles ont un Blackberryyyyyyy” )
le bizutage ou le (cyber-)harcèlement (“C’est pour s’intégrer, tous les autres le font…” )
les choix de carrière (“Je vais quand même pas faire [XXX], c’est un métier de [filles/mecs]…” )
les comportements à risque (“ Comment ça tu bois pas ?! Allez, un petit verre, ça te fera pas de mal, fais pas le rabat-joie !” )
la loi du silence (“Personne n’en a parlé, je ne vais pas être le premier, ça va être mal vu…”)
Avec des conséquences parfois catastrophiques, notamment sur la jeunesse, qui sont les plus sensibles au biais de conformité.
Se conformer ou mourir : les origines du biais
La plupart des théories s’accordent à dire que ce biais est ancré depuis longtemps dans le comportement humain car il a donné un avantage sélectif. Un avantage sélectif, c’est un avantage qui permet d’augmenter les chances de transmettre ses gênes à la prochaine génération. Comment ? En survivant et en se reproduisant. Or, faire partie d’un groupe, ça augmente les chances de survivre, et de se reproduire. Et pour faire partie d’un groupe, mieux vaut en respecter les us et coutumes, pour ne pas se faire rejeter.
Tout le monde adore mon produit !
Savez-vous que cette newsletter est notée ⭐️⭐️⭐️⭐️⭐️ par plus de 500 personnes ? Savez-vous que plus de 23’000 personnes la lisent chaque mois ? Savez-vous que…
Cette technique marketing repose sur un dérivé du biais de conformité : la preuve sociale. Un exemple concret : quel restaurant choisiriez-vous ?
Pourquoi le premier ? Le second a des meilleures notes, non ? 🙃 L’astuce est souvent utilisée pour les affiches de films ou de pièces de théâtre :
Comment s’en défaire ?
Simple, il suffit d’être anti-conformiste, d’être un hipster quoi !
Ah… mais premier problème, vous venez de vous faire manipuler par votre réactance (“je ne suis pas un mouton, je suis libre de mes choix donc je vais le prouver !”)
Deuxième problème : être anti-conformiste ou hipster… c’est aussi à la mode.
Troisième problème : ne pas faire comme la majorité, c’est probablement souffrir du biais de supériorité illusoire (souvenez-vous, 90% des conducteurs de voiture se pensent meilleurs que la majorité…).
Mes conseils sont un peu les mêmes que pour la soumission à l’autorité, et reposent sur les variantes de l’expérience d’Asch (les bâtons à taille variable) qui arrivent à annuler le biais de conformité :
Si vous ressentez un doute, de l’inconfort, du stress, bref, une dissonance cognitive, pensez à ce biais et à ce que la majorité vous pousse à faire.
Cherchez des alliés, ou des voix discordantes. Si vous n’en voyez pas, souvenez-vous qu’en exprimant votre opinion contraire, d’autres victimes de ce biais pourront se sentir soulagées et oser changer d’avis.
Demandez un vote à bulletin secret, ou demandez un délai pour répondre, pendant lequel vous pouvez vous éloigner du groupe et réfléchir sans pression sociale.
Je vous recommande aussi de regarder le film ou la pièce de théâtre 12 hommes en colère, dont toute l’intrigue repose sur ce biais (lien Youtube, 1h56).
Merci d’avoir lu cette newsletter, que j’ai pris beaucoup de plaisir à écrire comme d’habitude. Si vous voulez recevoir un biais cognitif de temps en temps le Lundi à 18h, inscrivez-vous ! Vous pouvez aussi liker / commenter / noter la newsletter pour qu’elle s’améliore 😉
Il utilise en anglais le terme de yielding qui n’a pas vraiment d’équivalent en français, mais dont une traduction littérale serait à peu près “personne qui cède ”.
Techniquement, n’importe quel parti qui remporte suffisamment d’États peut gagner l’élection. Mais depuis 1968, aucun État n’a été remporté par un parti autre que les républicains ou les démocrates. Merci ChatGPT pour l’info, mais je suis quand même allé vérifier la liste des élections du 20ème siècle, au cas où.
Un effet assez marrant que j'ai testé récemment: j'ai demandé à plusieurs de mes potes de se mettre dans une des 3 catégories (moins bon que la moyenne, meilleur que la moyenne, dans la moyenne) pour divers critères (intelligence, beauté, forme physique, intelligence émotionnelle)
Bon le biais que j'avais un peu introduit, c'est que j'ai PAS précisé de quelle moyenne je parlais, et ça se voyait.
J'ai demandé à un de mes potes "pourquoi tu a dit que tu es plus intelligent que la moyenne", il m'a répondu "bah ouais comparé à vous je suis clairement meilleur" alors qu'un pote qui avait répondu "moins intelligent que la moyenne" m'a dit "ouais par rapport aux autres chercheurs du laboratoire, je suis clairement pas au même niveau"
Bon je suis pas chercheur ni même étudiant en socio/psycho, mais j'avais trouvé ça assez marrant que certes le biais de supériorité illusoire existe, mais on peut en dire de même pour un "biais de conformité" ou "biais d'inférorité"
Finalement, un borgne au pays des aveugles est roi !
Très bon article, merci !