Pourquoi "c'était mieux avant" ?
Je vous parle d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Un temps où la baguette était à 1 Franc, où les jeunes étaient bien éduqués et... qui n'a jamais existé.
« La mode actuelle c’est n’importe quoi… »
« Les jeunes d’aujourd’hui ne veulent plus travailler… »
« Il n’y a plus rien de bon à la télé… »
« De mon temps, on respectait nos aînés ! »
« Make [Your Country] Great Again ! »
Bref, c’était mieux avant, vous ne trouvez pas ? J’ai une bonne nouvelle : (presque) tout ça, c’est notre cerveau qui nous joue des tours.
Rassurez-vous, vous n’êtes pas les premières victimes de cette illusion. Voici ce que le poète Horace écrivait il y a 2000 ans :
Mille incommodités assiègent le vieillard […] Quinteux, râleur, vantant le temps passé quand il était gosse, toujours à censurer les jeunes […].
Et si on essayait de “mesurer” que c’était mieux avant ?
À quoi fait référence le «C’» de “c’était mieux avant” ? Pas clair. Peut-être… l’espérance ce vie ? Raté, ça ne fait que s’améliorer (source INSEE). Alors peut-être les inégalités, ou le nombre de gens sous le seuil de pauvreté ? Raté (source) et raté (source). Le pouvoir d’achat ? Encore raté (source INSEE, attention le graphique est trompeur, lisez bien la légende).
Certes, il y a des contre-exemples où c’était vraiment mieux avant (sur l’environnement par exemple). Mais tout ça pour dire que si vous entendez “C’était mieux avant” sans autre argument, alors la personne est probablement juste victime de ses biais. Comment ? On y vient.
Mais alors, si tout n’est pas clairement “mieux avant”, pourquoi est-ce qu’on a ce sentiment ?
Il y a plusieurs causes à ce sentiment nostalgique, voire un peu réac’.
1. Le biais de simple exposition : on préfère ce que l’on voit souvent
Pour rappel, le biais de simple exposition dit que l’on préfère ce que l’on voit souvent. Par exemple, si vous achetez tout le temps la même marque de yaourt, vous les trouverez meilleurs que les mêmes yaourts avec une étiquette différente. On en parle plus en détail dans l’épisode 5 de cette newsletter.
La musique, c’était vraiment mieux avant ? Ou vous avez tellement écouté votre album favori et vous y avez associé tellement de souvenirs que toutes les nouveautés paraissent fades ? C’est la même chose pour la mode et votre style favori, votre série télé favorite, votre plat préféré dont seule votre grand-mère avait le secret, votre sportif de cœur parti trop tôt à la retraite… (pas comme ça Zinédine !).
2. Le biais de Statu Quo : le changement, c’est jamais !
C’est une conséquence de l’aversion au risque (épisode 15). On préfère ne rien changer plutôt que d’essayer d’améliorer les choses, car on risquerait d’empirer la situation.
3. L’Erreur Ultime d’Attribution : ah les jeunes de nos jours… 🙄
Pour rappel, l’Erreur Ultime d’Attribution, c’est expliquer les actes d’un groupe de personnes par leurs traits de caractère (les facteurs internes) en minimisant énormément l’impact du contexte, de l’éducation, et même du hasard (les facteurs externes). Par exemple, si les profs sont tout le temps en grève, c’est parce qu’ils sont fainéants. 🙃
Dans notre cas du “c’était mieux avant”, les deux groupes de personnes sont les deux générations : les “vieux” et les “djeuns”. D’où le fameux “ah les jeunes de nos jours…”.
Remarquez que ça marche aussi dans l’autre sens ! Les gens plus jeunes que vous vous voient surement comme faisant partie des “vieux réacs qui ne sont plus à la page”. Ce qui ne facilite pas le dialogue.
4. Votre mémoire vous ment
Il y a malheureusement beaucoup de problèmes avec notre mémoire :
Vous vous en doutez, plus le souvenir est lointain, plus on a de chances de l’oublier. Vous allez avez donc plus de chance d’oublier des expériences négatives lointaines que vos expériences négatives récentes.
Plus un souvenir est associé à une émotion forte (qu’elle soit positive ou négative), moins on aura tendance à l’oublier (source).
Plus on vous force à vous souvenir d’une expérience, plus vous allez inventer des détails (parfois jusqu’à même inventer totalement l’expérience, source #1, source #2)
Ce ne sont pas les seuls éléments qui participent à vous donner une image nostalgique du passé, mais cela illustre déjà combien votre mémoire peut vous jouer des tours.
D’accord, c’est dangereux. Maintenant, comment l’éviter ?
Il faut se rendre compte que ce sentiment nostalgique est très ancré culturellement. Les mythes de l’Atlantide (cité utopique engloutie à cause de la décadence de ses habitants), du Paradis (la jeune humanité condamnée pour avoir désobéi) en sont des exemples très anciens.
On peut aussi le voir dans les romans, films ou séries. Que ce soit dans Gladiator, Bridgerton ou Astérix et Obélix, le passé est souvent idéalisé, romantisé, et nous fait rêver. Alors qu’en vrai, la moitié d’entre nous serait morts-nés et l’autre moitié serait des paysans ou des pêcheurs mourant de faim. Pas génial.
Concrètement, il y a deux règles d’or pour s’en défendre :
“C’était mieux avant” a besoin d’une preuve derrière, ça ne s’énonce pas tout seul. Sans ça, ce n’est pas un argument. C’est comme l’appel à la nature ou l’appel à la tradition. Ce n’est pas parce que c’est naturel, ancien ou traditionnel que c’est une bonne chose. Rappelez-vous, on soignait le rhume en vous ouvrant les veines, et la plupart des champignons “naturels” sont toxiques.
Les anecdotes personnelles et les goûts ne sont pas un argument. Si quelqu’un vous dit : « à mon époque, on écoutait de la vraie musique, et on lisait des livres ! », vous avez le droit de répondre « et à ton époque on portait des pantalons pattes d’eph et on avait des mullets, donc épargne-moi tes conseils ».
Attendez, comment ça c’est de nouveau à la mode ?! Ah les jeunes de nos jours…