Désolé, vous n'êtes pas HPI. Votre enfant non plus.
Qu’est-ce qui se cache vraiment derrière cet acronyme à la mode ?
HPI (Haut Potentiel Intellectuel), zèbre, hyper-précoce, surdoué… Vous avez probablement entendu parler de quelques-uns de ces termes, récemment très médiatisés, au point d’en créer une série TV sur TF1.
Que veulent vraiment dire ces termes ? Pourquoi cette médiatisation ? Pourquoi parler de ça dans une newsletters sur les biais cognitifs ?
Plongeons-nous dans le mythe HPI.
La Définition Officielle
En France1, on dit qu’une personne est HPI quand elle a un QI supérieur à 130.
L’avantage, c’est que le calcul du score de QI est toujours normalisé. Peu importe le score obtenu au test, tous les scores d’une même tranche d’âge sont ensuite décalés pour tenir dans une courbe en cloche, dont la moyenne est 100 et l’écart-type 15.
On sait donc exactement combien de gens ont un QI supérieur à 130 : un peu plus de 2% de la population. Le titre de cet article est donc vrai dans à peu près 98% des cas.
Certains se disent peut-être : mais moi, MOI, je suis l’exception ! Je le sens bien, je suis différent, je suis meilleur ! Et c’est là que les problèmes commencent.
Le biais de supériorité illusoire
Si vous avez le permis de conduire, vous avez sûrement râlé sur des chauffards vous ayant coupé la route, ayant tourné sans clignotant, et autres refus de priorité. Mais vous, vous faites attention, vous êtes responsables. Clairement, vous êtes un meilleur conducteur que la moyenne. Bizarre, c’est aussi ce que pensent 93% des conducteurs…
Dans une étude très connue de 1980, Ola Svenson va demander à des conducteurs américains et suédois de dire s’ils pensent être dans les 50% des meilleurs conducteurs, ou les 50% des pires conducteurs.
69% des suédois et 93% des américains vont répondre : “oui, je suis dans les 50% meilleurs conducteurs”. Mathématiquement, il y a anguille sous moteur.
Cette étude a été reproduite sur d’autres thèmes que la conduite. On pense par exemple avoir un mode de vie plus sain que la moyenne (source) et on se croit plus populaire que la moyenne (source).
Alors, vous pensez toujours être HPI ?
Il faut noter quand même un facteur important : c’est un biais très lié à l’estime de soi. Meilleure elle est, plus nous sommes victimes de ce biais. Autre facteur : les sociétés individualistes comme l’Amérique du Nord et l’Europe sont bien plus affectées que les sociétés plus collectivistes, comme l’Asie de l’Est (source). D’autres facteurs encore, comme la dépression, peuvent faire basculer dans le biais inverse, l’infériorité illusoire, ou l’effet “moins bon que tout le monde” (source).
Aidez ces enfants je vous en supplie !
Quand on parle de HPI, c’est souvent à propos des enfants. Et plus particulièrement à propos d’enfants mal-adaptés à la société, à l’école, avec des problèmes pour se sociabiliser, en échec scolaire. L’Éducation Nationale partage d’ailleurs des ressources pour aider les enseignants à reconnaître et à accompagner ces Élèves à Haut Potentiel (source). Qui n’aurait pas envie d’aider des petites têtes blondes en échec scolaire ?
Et si on regardait les chiffres ? L’étude française la plus récente montre qu’il n’y a pas plus d’échecs scolaires chez les enfants HPI. Bien au contraire, ils ont 2,6 points de plus en moyenne au brevet, et le taux d’échec est 10x moins élevé que dans les non-HPI (1.7% vs 15.5%) (source).
Pour ce qui est des problèmes de sociabilisation ou de comportement, là encore, aucun lien démontré avec un QI élevé. Pourtant c’est un mythe tenace, si bien qu’il se retrouve dans les documents de formation de l’Éducation Nationale (et encore, ça a été diminué dans l’édition de 2018, c’était plus flagrant avant).
D’après plusieurs chercheurs et sociologues, c’est une légende urbaine qui date de certaines vieilles études, débunkées depuis. Cette légende aurait été beaucoup relayée (de façon plus ou moins volontaire) par les Associations de Parents d’Enfants à Haut Potentiel (AFEHP, ANPEIP) pour “faire pression sur l’Éducation Nationale”, qui ne voulait pas faire d’aménagements pour ces élèves “déjà chanceux d’avoir des facilités” (source, à 59min30, mais tout le podcast est intéressant).
Barnum is back
Pour ceux qui n’ont pas lu l’épisode précédent (dispo ici), je fais un résumé très rapide. L’effet Barnum, c’est le fait de se reconnaître dans une description vague, ambivalente et/ou méliorative. Par exemple :
De l'extérieur, vous êtes discipliné et contrôlé, mais à l'intérieur, vous êtes parfois préoccupé et incertain.
Il y a plusieurs facteurs pour le rendre plus efficace, comme l’autorité de la personne qui énonce la description, et le fait que cette description soit valorisante.
Maintenant imaginez-vous : vous êtes une personne qui a parfois des doutes, qui se sent parfois seule, et vous lisez ceci :
Les adultes HPI (ou surdoués) partagent avec les enfants précoces de nombreuses caractéristiques du fonctionnement cognitif et psychologique :
La grande créativité,
La réactivité particulière, émotionnelle, sensorielle, intellectuelle et/ou au niveau de l'imaginaire,
L'empathie très développée,
Le perfectionnisme,
La pensée en arborescence,
L'anxiété que crée le décalage avec les autres,
Le manque d'estime de soi (syndrome de l'imposteur),
Un faux self (adaptation aux autres) qui vient complètement cacher le vrai self.
Extrait du premier résultat en tapant HPI sur Google2. Combo gagnant pour l’effet Barnum :
des “symptômes” vagues ✅
site numéro 1 des résultats Google, ça doit être une source sûre ✅
un “diagnostic” valorisant (HPI = QI très supérieur à la moyenne) ✅
Problème : ces descriptions correspondent aussi à des vraies pathologies, comme les Troubles De l’Attention, le spectre autistique, l’hyperactivité etc. On peut donc se croire HPI, et ne pas avoir le vrai diagnostic avec l’accompagnement adéquat, et continuer à en souffrir.
En conclusion
C’est en réalité assez inutile de savoir si vous êtes HPI ou pas, car ça ne change pas grand chose à votre vie
Allez voir un spécialiste si vous vous sentez en décalage avec les autres, ça sera plus pertinent qu’un auto-diagnostic
Si vous vous pensez meilleur que la majorité, vous vous trompez dans la moitié des cas
Vous n’êtes probablement pas HPI (dans 98% des cas)
Tout le monde cite l’OMS comme source de cette définition, sauf que j’ai été incapable de trouver quoi que ce soit là dessus de la part de l’OMS. En remontant la chaîne des citations, je retombe toujours sur la même publication, qui ne précise pas sa source, et qui dit elle même 2 lignes plus loin que la définition change en fonction des pays. Quand un terme “scientifique” n’est valable qu’en France, on est en droit de se poser des questions sur sa validité. Bref, c’est pas clair, mais passons.
En vrai j’ai cherché “HPI -série
” vu que la série de TF1 monopolise les résultats. Le “-” dit à Google d’exclure tous les résultats avec le mot “série”.