E-commerce : comment vendre grâce aux biais cognitifs
Analysons un site e-commerce pour détecter les biais cognitifs utilisés pour vous faire acheter leurs produits.
Aujourd’hui, c’est Travaux Pratiques ! Décortiquons ensemble un site e-commerce pour comprendre comment les biais cognitifs sont utilisés sur internet pour augmenter la probabilité d’acheter en ligne.
On va décortiquer le site de Boku, qui vend une sorte de bidet / toilettes japonaises. Vous savez, ces toilettes avec un jet d’eau qui… bon, vous chercherez par vous-même, on est pas là pour ça.
Si ce genre de sujets vous intéresse (les biais, pas les toilettes…) abonnez-vous pour recevoir les prochains épisodes !
Trouvez les 4 biais utilisés sur cette page
Vous les avez tous ? Vérifions :
#1 et #2 - Biais de rareté et aversion à la perte
La page commence par un compte à rebours, et un message en rouge bien flippant.
“Rupture de stock imminente”, ça crie biais de rareté. On ne l’a pas encore traité en détail dans un épisode mais le biais de rareté est le fait de donner plus d’importance et de valeur à quelque chose que l’on pense rare. Une expérience assez connue là dessus est celle de Worchel, Lee & Adewole (1975) (source), dans laquelle on demande à des étudiants de noter le goût et d’estimer le prix de cookies. Quand l’expérimentateur dit “désolé, on a presque plus de cookies”, les participants trouvent les cookies bien meilleurs (7/10 contre 4/10 si l’expérimentateur ne dit rien), et estiment un prix 30% supérieur.
Revenons à nos bidets. On a donc un effet de rareté par le “Rupture de stock imminente”, et juste à côté, avec le compte à rebours, une aversion à la perte (épisode #15). Pour rappel, l’aversion à la perte, c’est notre tendance à donner plus de valeur à quelque chose que l’on possède déjà, par peur de le perdre. Ici, le site nous fait miroiter un risque imminent de perdre notre panier, et donc l’impossibilité d’acheter le produit. Cela crée un petit sentiment d’urgence voire de peur, qui va potentiellement nous pousser à continuer l’achat compulsivement.
D’ailleurs, il suffit de recharger la page pour que les 8 minutes recommencent… On flirte avec l’arnaque 🙄
#3 - Biais d’ancrage
Ici, c’est la classique du biais d’ancrage : on montre le prix “sans promo”, pour faire biais d’ancrage (épisode 8 et épisode 9).
« Dis donc, 139€, c’est cher sans la promo ! Ah mais attends… 109€, est-ce que c’est cher ? Peu importe, c’est moins que 139, donc je fais sûrement une affaire ! »
#4 - Preuve sociale
Lire les avis des précédents clients n’est pas un biais en soi, surtout quand on achète sur internet. Avoir un retour d’expérience d’autres consommateurs c’est même plutôt rationnel. Sauf qu’ici, plusieurs choses mises bout à bout me font penser que c’est plutôt utilisé pour le biais de la preuve sociale (on en parle un peu ici):
Les 5 grosses étoiles avec le verbatim complètement dithyrambique mais suffisamment flou pour s’appliquer à n’importe quel produit sur Internet
Le nom de la personne et la mention “Avis Vérifié” pour bien montrer que c’est une vraie personne, une vraie cliente, c’est pas écrit par l’équipe non non !
On est sur la page Panier, et pas la page produit. Ça a l’air de rien, mais ça m’a fait tiquer. Même si l’avis est vrai… il est sur quel produit ? J’ai essayé avec plusieurs paniers, plusieurs produits différents. Résultat : l’avis est toujours le même… J’ai déjà dit qu’on frôlait l’arnaque ?
Et voilà pour la page Panier. C’est déjà pas mal, mais ce n’est pas fini, le pire reste à venir.
#5 - Reprendrez vous un peu d’aversion à la perte ?
En se baladant sur le site, au bout d’à peine 20 secondes, vous avez le droit à une petite popup… pour un nouveau compte à rebours 😩 (On passera sur le copywriting qui a le mérite d’être original). Ici encore une histoire d’urgence et d’offre à ne pas manquer pour déclencher l’aversion à la perte.
#6 - La preuve (sociale) par deux
On a ici une preuve sociale un peu plus flagrante : on met en avant le nombre de 100’000 utilisateurs satisfaits, et on rajoute le nombre de followers parce qu’on sait bien que le nombre de followers Instagram reflète la qualité du produit 🙃
#7 - Biais d’autorité
On met en gros sur la page d’accueil les magazines et journaux dans lesquels le produit est passé, et on laisse leur crédibilité déteindre sur nous ! C’est le biais d’autorité (épisode #14).
On soulignera le fait qu’en général, il suffit de payer pour avoir un article dans un magazine, ou un badge “Vu à la télé”.
Dark Patterns : La définition officielle™
Un Dark Pattern décrit une interface utilisateur ou une fonctionnalité qui a pour but de manipuler l’utilisateur, via tromperie ou utilisation de biais cognitifs (wikipédia).
Un exemple que vous devez voir sur la plupart des sites grâce à la RGPD : la bannière de cookies qui a un énoooorme bouton “Accepter tous les cookies” bien voyant, alors que le “Continuer sans accepter” est à peine visbile, voire caché derrière un autre menu et pas mal de scrolling. C’est d’ailleurs borderline illégal d’après la CNIL (cf article 30), qui veut que « [le site] doit offrir aux utilisateurs tant la possibilité d’accepter que de refuser les [cookies] avec le même degré de simplicité. ».
Dark Pattern #1 : Récompense aléatoire
C’est probablement ce qui m’a le plus dérangé ici. Vous êtes sur le site depuis à peine 30 secondes que voici une nouvelle popup. Là, c’est du dark pattern pur et dur : la récompense aléatoire. On “joue” à la roulette pour potentiellement gagner un des produits du site.
Cette roulette repose sur le principe de récompense aléatoire, une façon de déclencher notre circuit de la récompense, ancré bien profond dans notre cerveau. C’est la base des machines à sous, des tickets à gratter, et ce qui vous pousse à continuer à swiper sur Tinder et scroller sur TikTok. Bref, un terreau fertile pour les addictions. Juste un dernier tour, un dernier ticket, un dernier swipe, la prochaine fois c’est la bonne 🤡
Évidemment, aucune chance de gagner un bidet ici. En creusant le code du site, je me suis rendu compte que la roue est truquée. Elle tombera tout le temps sur “OFFRE MYSTÈRE” pour un code de réduction envoyé par mail.
NB pour les techs qui me lisent : c’est un bon exercice de rétro-engineering et de frontend de chercher comment ils ont truqué la roue. Dites-moi si vous avez trouvé 😉
Dark Pattern #2 : Culpabilisation
Si vous ne l’aviez pas remarqué sur le précédent screen, on vous rajoute un peu de culpabilisation avec le bouton de refus qui a comme intitulé « Je préfère payer le prix fort ». Ils utilisent ici un faux dilemme : ne pas participer à leur “jeu” ne veut pas dire que je préfère payer plus cher. C’est peut-être juste que je n’ai pas envie d’être spammé de mails marketing après avoir donné mon adresse sur une roulette truquée sur internet 😉
Conclusion
J’ai pris ce site en exemple car leur utilisation des biais est assez peu discrète et plutôt agressive, mais ce n’est clairement pas le seul. La prochaine fois que vous faites un achat sur un site d’e-commerce, vous retrouverez la majorité de ces biais sous une forme ou une autre.
Si vous voulez creuser d’autres exemples, je vous conseille le site growth.design et notamment leur épisode sur Temu.