Épisode #10 : Apophénie - rien n'est dû au hasard !
Vous n'êtes pas plus malins que des oiseaux. Ce n'est pas de votre faute, c'est un biais cognitif.
Regardez cette série de chiffres, et essayez de deviner la suite :
1 0 1 1 0 1 1 1 0 1 1 1 1 0
La bonne réponse ? 0. J’ai joué à Pile Ou Face, j’ai remplacé “Pile” par des 1 et “Face” par des 0.
Si vous avez cru qu’il y allait y avoir 5 uns puis un zéro, 6 uns puis un zéro et ainsi de suite, bravo, vous venez de subir l’apophénie. Allez j’avoue que j’ai aidé, j’ai mis un espace de plus après les 0 pour vous induire en erreur 😇.
La Définition Officielle™
L’apophénie est un biais qui nous pousse à chercher une relation entre plusieurs évènement pourtant aléatoires et indépendants.
Comme conséquences de l’apophénie on peut trouver les superstitions, les médecines alternatives, ou encore les théories du complot.
On va essayer d’éviter de plomber l’ambiance, même si j’adore ça. Parlons plutôt pigeons.
L’expérience pour les pigeons. Les vrais, ceux avec des ailes
(Extrait de l’étude originale)
Pendant la seconde guerre mondiale, B. F. Skinner, un psychologue américain, voulait mettre au point un missile piloté par des pigeons. 🕊️
La première étape, et non des moindres, c’est d’entraîner les pigeons. Une technique d’entraînement qui fonctionne bien, c’est le renforcement : quand le pigeon fait une action correcte, il est récompensé par une croquette.
Mais Skinner a un problème : certains pigeons font parfois n’importe quoi pour avoir des croquettes. Il modifie alors son expérience pour trouver ce qui cloche chez ces pigeons.
Cette fois, au lieu d’attendre une action correcte de la part du pigeon, Skinner va donner une croquette sans raison, parfois à intervalles réguliers, parfois à intervalles aléatoires.
Ce qu’il observe, c’est que les pigeons deviennent superstitieux. Le pigeon battait de l’aile droite juste avant d’avoir une croquette ? Alors il va battre de nouveau de l’aile droite en espérant qu’une croquette réapparaisse. Il faisait un tour sur lui-même ? Le voilà qui tourne en rond.
Disclaimer : cette vidéo illustre le renforcement, pas l’apophénie ! En effet Skinner choisit de donner les croquettes après une action correcte.
L’apophénie pour d’autres pigeons, ceux dont les casinos raffolent
On utilise le terme de “sophisme du parieur” (en anglais gambler’s fallacy) pour parler de l’impact de ce biais sur les joueurs. C’est un faux raisonnement qui consiste à dire :
“La dernière fois que j’ai soufflé sur les dés, j’ai gagné, donc je vais faire ça à chaque fois ! “
Bon ça paraît évident que c’est absurde dit comme ça, mais attention : le sophisme du parieur peut aussi prendre cette forme :
“La roulette est tombée 7 fois de suite sur ROUGE, elle va probablement tomber sur NOIR la prochaine fois !”
Sauf que statistiquement / mathématiquement, c’est faux. Prenons l’exemple de la roulette :
Vous pariez sur UN lancer ? Alors les probabilités sont de 50%/50% (en fait 48.5%/48.5%/3% puisqu’il y a une case verte). Et ce, peu importe les lancers précédents, même s’il y a eu 7 ROUGEs avant.
Vous pariez sur les 8 prochains lancers ? Alors oui, il n’y a que 0.3% de chance que ça soit 8 fois la même couleur.
Lorsqu’on parie sur le hasard, les évènement passés n’ont aucune influence sur les évènement futurs. Ça paraît contre-intuitif ? C’est normal, la distinction est subtile, et l’apophénie ne vous aide pas.
Nous sommes nuls pour choisir au hasard
Si je vous demande de choisir un chiffre au hasard entre 1 et 10, vous allez probablement me répondre 71.
Pourquoi ? Vous vous dites que les autres chiffres sont “trop particuliers”, “pas assez aléatoires” :
1 et 10, ce sont les extrêmes
5 est au milieu (c’est une demi-poire 🍐), en plus il est “trop rond”
2 / 4 / 6 / 8 sont des chiffres pairs, les gens aiment trop ça
3 et 9 sont trop proches des extrêmes, et 3x3 = 9
Il reste 7. C’est suffisamment loin des extrêmes sans être en plein milieu, c’est un nombre premier, bref, le nombre aléatoire par excellence.
D’ailleurs c’est une astuce de magicien qui, couplée à la loi Apogée-fin entre autre, a été utilisée dans la scène d’ouverture du film Insaisissables [40 premières secondes] :
Autre exemple : si je vous demande de placer aléatoirement 50 points sur une feuille de papier, vous aurez un dessin à peu près comme celui-ci :
Problème : on a tendance à placer les 50 points sur toute la page, mais suffisamment éloignés les uns des autres. Donc leur répartition sera trop uniforme. Vous n’aurez presque pas de points qui se touchent. Pourquoi ? Deux raisons :
On va placer les points par rapport aux points précédents plutôt qu’en réfléchissant à toute la page
On va éviter les groupes de points à cause de l’apophénie ! En effet, à cause de notre habitude à chercher des motifs et un sens dans l’aléatoire, on se dit “Des points collés, c’est un motif. Un motif ça a du sens, donc ce n’est pas aléatoire. Donc il faut éviter les points collés.”
Alors que si on demande à un ordinateur de faire le même dessin, ça ressemble à ça :

Pour tout vous avouer, j’avais même pensé faire une nouvelle expérience sur vous, comme celle sur le biais d’ancrage. Je vous montre 10 dessins, et je vous demande de deviner :
lesquels sont créés par ordinateur
lesquels sont créés par un humain
On mesure ensuite la répartition des distances entre 2 points sur les dessins notés comme “humains” et on compare celle sur les dessins notés “ordinateur”. Et bien sûr, le twist c’est que tous les dessins auraient été faits par ordinateur 😈
…Mais j’ai eu la flemme. Promis, on en refera des expériences !
Tiens d’ailleurs, cette expérience, ça ne vous dit rien ? Reconnaître des formes ou des images dans des dessins aléatoires…
Le test de Rorchsr…Rorcsh…Rrorrrsch… le test des tâches d’encre
Le test de Rorschach (wikipedia) est un test psychologique qui est censé permettre d’évaluer un patient (raisonnement logique, interactions sociales, attitude dépressive…). Disclaimer : les bases théoriques de ce test sont un peu fragiles et controversées, notamment vu la divergence des résultats en fonction de l’origine culturelle du patient.
Ce test se base sur l’apophénie, plus exactement sur une de ses variantes, la paréidolie (wikipedia). La paréidolie c’est notre réflexe de reconnaître des formes dans un stimuli visuel aléatoire. C’est un peu grâce à la paréidolie que nos smileys existent ! ;-)
« Si je ne suis ni un oiseau, ni un parieur, ni un magicien ni un psychologue, je suis protégé ? »
Ça m’étonnerait. Ces mécanismes sont profondément ancrés dans notre évolution car ils sont à la base de notre système d’apprentissage. Reconnaître le cycle des saisons, les signes d’une bonne récolte, les traces d’un prédateur… tout ça ne date pas d’hier. Donc je suis prêt à parier que vous êtes atteints d’apophénie sévère.
Par exemple, vous avez un chiffre fétiche ? Un ange gardien ? Un bracelet porte-bonheur ? Un signe astrologique ? Un tube d’homéopathie ? Une relig…
- Chuuuuuuut chut chut ! C’est une pente glissante ça…
En effet, je crois que je vais m’arrêter là, je sens que ça commence à grincer des dents 😬
Tiens, d’ailleurs… pourquoi ce genre phrase fait grincer des dents ? Susciter une réaction émotionnelle comme ça, ça pourrait être utile pour “orienter” les gens, non ? 😈
Mon petit doigt me dit qu’on va en parler dans la prochaine newsletter…
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Vous choisirez 7 [vidéo, 30 secondes] extrait du channel Youtube Numberphile